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17/11/2011

Nelly Arcan

nelly.jpgNelly Arcan, Putain (Seuil, 2001 - coll. Points/Seuil, 2002))

 

Cachée derrière les rideaux de sa chambre, une prostituée patiente entre deux clients. L’attente se nourrit du souvenir : une famille dévote, une mère absente et un père distrait. Et parfois la jouissance éprouvée avec ces hommes auxquels elle fait l’amour, ces hommes qu’elle déteste peut-être autant qu’elle-même. Un récit obsessionnel qui ressemble à un exorcisme désespéré pour se maintenir en vie...


Les amateurs de pornographie ou de voyeurisme seront déçus par ce premier roman stupéfiant qui témoigne, malgré un langage cru ou impudique, d’une maîtrise émotionnelle et d’une qualité littéraire indiscutables. Au-delà de la haine et du dégoût de soi, cette mise à nu autobiographique est-elle capable de guérir des démons du passé ?

 

Nelly Arcan, l'auteur québécoise de ce texte ainsi que de FolleA ciel ouvert, et Burqa de chair chez le même éditeur, a mis fin à ses jours en 2009, à l'âge de 34 ans.

06:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/10/2011

Gilberte Favre 1a

Bloc-Notes, 30 octobre / Nyon

littérature; récit; livres

Certains livres portent bien leur titre. Ainsi en est-il du récit de Gilberte Favre, Des étoiles sur mes chemins, car davantage que le film d'une vie, c'est d'un chant de reconnaissance qu'il s'agit: hommage à son père de sang trop tôt disparu, un orphelin inconsolable, préférant les grands espaces aux murs de l'école qui, malgré ses lacunes intellectuelles, avait un regard lucide sur la vie, le monde et la nature: ruisseaux, rivières de montagnes, arbres, oiseaux en liberté, couchers de soleil... Surtout, mon père aimait le Silence, et j'ai hérité de ce besoin. Depuis qu'il a disparu, des chants d'oiseaux m'accompagnent. J'essaie de les identifier, hésitant entre le rouge-gorge et la mésange charbonnière, ou serait-ce la fauvette? Mon père qui les aurait tous reconnus avec précision, aurait ri de mes doutes, de mon ignorance. Au fil de ces pages, j'ai pris congé de lui - le vrai, le taiseux, celui que j'ai cherché à découvrir rétrospectivement - tout en pensant à l'Autre, le Père-Poète.

Le Père-Poète, cette rencontre déterminante dans sa vie - il en est d'autres telles Andrée Chedid, Eleni Kazantzaki, J.M.G. Le Clézio ou Ghassan Tueni - a pour nom l'écrivain Maurice Chappaz. Il l'appelle l'hirondelle de vie et irradie tout le chemin de Gilberte Favre de sa présence douce, de ses réflexions marquées par la poésie naturelle et le bons sens, tout particulièrement quand son époux N. - Noureddine Zaza, écrivain et homme politique kurde - se trouve frappé par un cancer: Soyez sûre que ce que vous ferez, direz, il le comprend, mais le côté désespoir crée ce sentiment terrible d'échec, de culpabilité, de rétorsion. En même temps que l'homme est infiniment touché par la bonté de l'autre et emportera pour vous votre bonté dans l'autre monde et vous protégera dans celui-ci. A vous, à tout ce que vous guidez avec le plus grand et le plus constant amour.

Si ce livre peut ressembler parfois à un office des morts - titre d'un ouvrage de Maurice Chappaz - en l'honneur de ceux qui, pour la plupart, ont aujourd'hui quitté ce monde - N., Maurice Chappaz ou Andrée Chedid - il est aussi pétri de cette gratitude qui ne console pas de l'absence, et de la reconnaissance vouée au pouvoir des livres qui ont inspiré son chant du monde, au-delà des épreuves que l'existence a pu lui réserver: J'aime les mots pour leur présence, leur musique, leur signification, leur mémoire. Tout ce qu'ils évoquent et qu'ils cachent, parce qu'ils chantent. Je les aime parce qu'ils sont fidèles, parce qu'ils sont toujours près de nous, en nous. Ils sont la vie et s'ils savent dire la mort, ils sont - de par nature - la négation de la mort.

De la Suisse ou Kurdistan, de la Grèce au Liban, de Chypre au Hoggar, la plume de cette grande voyageuse observe, décrit et intègre à son appréhension du temps de la fracture et du souvenir tout ce qu'elle y découvre d'oppression, de peine ou d'injustice dont elle a déjà rendu compte dans ses écrits antérieurs: J'étais lasse de notre monde civilisé que je voyais peuplé de prétentieux avides et cyniques, de blasés ignorant la caresse fraternelle du soleil comme le frémissement des feuilles sous la chaussure. Et c'est sans doute dans les livres - lus ou écrits - qu'elle a puisé l'énergie et la conviction nécessaires pour réduire les angles discordants.

De nombreux auteurs ont habité Gilberte Favre au fil de son récit Des Etoiles sur mes chemins et, plutôt que de les énumérer tous, vous trouverez en annexe quelques-unes de ces citations qui forgent ses traits ou son vécu et constituent une terre ferme dont elle n'est pas prête à se détourner...

Une note d'Oiseau vaut mieux qu'un million de mots. (Emily Dickinson) 

Journaliste, critique littéraire et écrivain, on doit à Gilberte Favre un livre consacré à la première épouse de Maurice Chappaz, Corinna Bille, le vrai conte de sa vie aux éditions 24 Heures. Elle signe également L'hirondelle de vie - Chronique des enfants du Liban, aux éditions de L'Aire. Suivent deux romans chez le même éditeur: Comme un acte de mémoire et Survivre.

Son blog, consacré pour l'essentiel aux rumeurs du monde et à la poésie, mérite davantage qu'une simple visite de courtoisie: http://itineraires.blog.24heures.ch/ 

Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)

03/09/2011

Colette Fellous

Bloc-Notes, 3 septembre / Curio

littérature; récit; livres

Colette échappe de peu à un terrible accident. Une de ses sandales se prend dans un rail, à Tunis. Un instant, elle se voit morte: Un morceau de ma vie est passé sous le train ce mardi-là, bien après les jours et les pays, ce mardi d'un mois d'août naissant (il était presque midi) mais comment le cerner, le dessiner, le reconstruire? (...) Je cherchais à retrouver un petit mouton de bois perdu et c'est un morceau de ma vie que j'ai laissé ce jour-là, au bord de la voie ferrée.

Cet événement réveille les ombres, laisse fleurir les impressions, les souvenirs de ces années 1967-1969, avec la découverte de Paris - un immense écran de cinéma - où naissent les premiers battements de l'amour, les moments de rare bonheur sur fond de lumière, d'extravagances et de liberté qu'épanouissent les liens de l'amitié et la passion des livres: Je cherchais chez les écrivains de tous les siècles leurs moments de crise, leurs illuminations, leurs premières fois, leurs vertiges, je m'approchais au plus près de leur fièvre, j'attendais qu'ils me parlent encore, qu'ils me racontent. (...) Je devenais leurs nuits, leurs hallucinations. Je savais me glisser à n'importe quel point du temps, les mots me grisaient, j'apprenais à être plusieurs.

Mais la figure centrale de ce récit qui éclaire et assombrit à la fois les multiples greniers secrets de sa mémoire, c'est Georgy, ce frère cousu au centre de son coeur, diabétique dès son enfance et qui meurt à vingt-sept ans: un dandy qui ne se remarque pas, un esthète, un inconsolable, (...) un grand contemplatif de la misère du monde et du luxe, celui des hôpitaux et des grands hôtels. L'amoureux des livres, des films, des tableaux et des stars. Des parfums et des beaux vêtements. Des voyous et des anges.

Colette Fellous dépeint avec beaucoup de lucidité, de tact, de sensibilité, la relation tourmentée entretenue avec ce frère bien-aimé et inséparable: Il n'était pas diabolique. Il était au-delà, toujours au-delà. Depuis ses six ans. Au-delà des conventions, des interdits. Il le savait qu'il mourrait très jeune. Il n'avait donc rien à perdre. (...) Suivre ses rêves, jusqu'au bout, c'était le rôle qu'il m'avait donné. Suivre ses folies, ses désespoirs, jusqu'au bout. Je devais partager sa souffrance en jouant moi aussi avec mon corps, en le détruisant à mon tour, comme le sien avait été détruit par la maladie. Mais je n'ai pas accepté ce pacte. Je l'ai sans cesse détourné, repoussé. (...) Sa mort a été la mienne, mais elle m'a aussi permis de vivre, de me libérer de lui. 

Outre cette poignante réverbération des élans du coeur, Un amour de frère fleurit de pages de toute beauté consacrées à la musique, à ses liens intimistes avec la Tunisie - son pays d'origine - et à la poésie omniprésente dans tous les écrits de Colette Fellous: Le sens d'un poème est à la fois ouvert, mobile, transparent, et complètement secret, à jamais secret. C'est là que résident sa beauté et sa force. On ne doit pas chercher d'explication, ce serait tuer le poème. Il y a autant de mots cachés que de mots écrits. Plus la langue est simple, plus elle est vaste.

En écho à la mort de Georgy, Colette Fellous se remémore un extrait de sa correspondance qui incarne pour elle le vertige annoncé de la fin: Même les oiseaux s'en iront un jour ... A la fin de son livre, y répond la citation sublime de Virginia Woolf, scellant toute vie peut-être, la sienne, la vôtre, la mienne: Je passerai comme un nuage sur les vagues ... Une image forte qui parachève l'une des oeuvres littéraires les plus abouties de l'année, servie par une langue magnifique!

Colette Fellous, Un amour de frère (Gallimard, 2011)

00:45 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Colette Fellous, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/06/2011

Daniel Fazan

Bloc-Notes, 2 juin / Les Saules

littérature; récit; livres

Le prince Selim Djem, dans la postface au récit Vacarme d’automne, a bien saisi la personnalité de Daniel Fazan, quand il évoque un être charmant, attentif, souriant, toujours à l’écoute des autres et d’une sensibilité à fleur de peau. Pascal Vandenberghe, dans sa préface, parle d'un homme qui a pu faire de son amour des plaisirs de la vie et des autres, son métier.

Et c'est tout à fait l'image que je me suis fait de lui lors de ses émissions sur RSR La Première, Intérieurs. Quand je l'ai rencontré, rien ne m'a vraiment alerté, sinon un humour facétieux, un brin mélancolique, mais mordant comme un fruit vert de première jeunesse, un don naturel pour les pirouettes qui lui permettent de couper court, en public, à la manifestation de ses fragilités, de ses inquiétudes, de ses colères. L'expression d'une pudeur toute masculine, sans doute.

Dans son livre au contraire, il se lâche, Daniel Fazan. Avec sa difficulté parfois à vivre sur terre, son rejet des modèles - surtout ceux de son âge - et son aspiration à une tranquillité pleine de rébellion, Loulou, le narrateur de son récit, ressemble un peu à un emmerdeur qui prend sa place quand elle n'est pas offerte et la refuse quand le siège est encore chaud. Et comme il sent la vieillesse gagner du terrain, il se mue en vieille branche geignarde, mécontent de son sort, insatisfait de ce que le temps lui réserve, abîmé dans ses souvenirs qui lui semblent demeurer son unique trésor. A ce point-là?

Il est vrai que malgré la sympathie que j'éprouve pour Daniel Fazan, Loulou m'a souvent agacé, viscéralement. Non qu'il me déplaise, mais parce que ses coups de gueule décalés ou ses jérémiades à répétition me sont étrangement familiers, tout à coup, à moi qui suis à peine de deux ans plus jeune que lui... Après avoir ravalé ma salive, un peu déçu - de moi-même: je pensais avoir mieux réussi que lui! - je souris finalement, comme auprès d'un frère malicieux, à ce personnage où le tragique se mêle à la fantaisie et à la légèreté: Il me semble que je repique, comme ce lilas flétri reçu ce mai de lumière, dont j'ai entaillé les branches grises trempées dans l'eau chaude. Il relève la tête et ouvre ses grappes d'étoiles

Loulou a encore de belles années devant lui. En fait, hormis les autres qui veulent le réduire à un dinosaure, le médecin qui doit plus souvent que par le passé ajuster la bécane, il a le coeur d'un adolescent: pourfendeur de l'ennui et du renoncement, un peu à côté de la plaque dans un univers qui vire à la conformité, sans oublier la passion qui, au bout du compte, retarde en lui avec élégance le poids de l'inéluctable et le mot de la fin: Chacun m'a donné sa perception du monde, ses sensations terrestres et mystiques, confié ses entrailles mémoriales avec une confiance délicieuse. J'ai, en contrepartie, offert mon moi, à chaque fois, avec la plus grande sincérité. (...) Leurs voix sont mes Schubert, mes Mozart, elles sont les concertos où leurs instruments brillent dans la nuit humaine des destins contrariés ou pacifiés. (...) Je les entends tous vibrer et les reconnaîtrais dans la multitude des voix anonymes

La lumière, je vais la créer, elle sera mienne. Elle éclairera mon crépuscule. Lointain...

Un petit conseil cependant à Daniel Fazan qui, comme le rappelle Pascal Vandenberghe, est vieux et n'aime pas qu'on le lui dise: qu'il ne lise jamais - une rechute n'est jamais impossible - le roman de Adolfo Bioy Casares, Journal de la guerre au cochon puisqu'on y traque avec allégresse afin de les exterminer, les vieux de plus de... cinquante ans! Pauvres et vulnérables bien sûr...  

Daniel Fazan, Vacarme d'automne (Olivier Morattel, 2011)

Adolfo Bioy Casarès, Journal de la guerre au cochon (coll. Bouquins/Laffont, 2001)

23:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

31/05/2011

Jean-Pierre Otte

Bloc-Notes, 31 mai / Les Saules 

littérature; récit; livres

Certains auteurs, irrésistiblement, donnent envie de les connaître, pour de vrai. Jean-Pierre Otte fait partie de ceux-là. Amoureux de la vie et de tous ses bienfaits, esprit curieux intéressé par les êtres qui sont en eux-mêmes toute une histoire et ne ressemblent à personne, il nous raconte aujourd'hui une de ses belles rencontres, celle de Mehdi Mansour: un visage fascinant, de conciliation et d'ouverture (...), un de ces êtres fluides capables de se jouer de toutes les serrures.

A Lespinas, un hameau dans le Haut Quercy, en bordure du Cantal, ce dernier a créé un cercle des lecteurs - une quinzaine de personnes environ - qui se réunissent pour débattre autour de thèmes variés - la présence au monde, la philosophie, le bonheur ou l'écriture - de livres aimés, échangés, partagés - une centaine d'ouvrages à travers les siècles et mentionnés en fin de volume - conviant notre auteur dans cette oasis, un petit monde oublié du monde, une ambiance faite de quiétude, d'entrain et de camaraderie dans la proximité du feu. 

Si Jean-Pierre, Mehdi et les autres ont en commun la passion de l'écrit, le refus du piétinement et de la stagnation, c'est sous le signe de l'amitié, de mets savoureux et de vins délicats que s'opère la magie. Si vous suivez un régime, ce livre sera une torture pour vous, car au fil des lieux et des saisons, vous humerez la tarte au citron de Maylis, le tiramisu de Bella, le quatre-quarts au chocolat d'Eliane, le vin chaud à la muscade et aux bâtons de cannelle de Mehdi, les crêpes au pommes flambées au kirsch de Petite Ourse... La fête, tout simplement!

Truffé d'anecdotes sur l'histoire de ces compagnons singuliers, souvent drôles et pas conventionnels pour un sou, ce récit nous délivre aussi quelques pensées merveilleuses. Sur la philosophie: Philosopher, c'est dans une volonté d'allégresse, apprendre à vivre au mieux la vie qui nous est échue en partage quand apprendre à mourir n'est pas nécessaire, puisqu'on y réussit fort bien la première fois. Sur l'importance des livres: Certains livres sont d'une telle fertilité que lorsqu'on y plonge la tête la première, ils remplissent le vide, délivrent, détruisent insensiblement toute impression d'isolement. On se croyait séparé de tout, en rade, laissé pour compte, et on se retrouve réuni, accordé à tout, au diapason même de l'univers. C'est cela, le plaisir par excellence.

Sur l'écriture, Jean-Pierre Otte nous partage une jolie image: Si tous les livres lus sont autant d'échappées belles sur les routes du monde, écrire, c'est s'inventer des chemins vierges. Alliance spontanée de la maturité et de la jeunesse, c'est de cette dernière, à propos de l'éducation, que jaillit peut-être le plus beau passage de ce livre: Nous les avons éduquées à baptiser les rêves de noms d'oiseaux, à construire des rires avec le sable, à semer le trouble dans l'obscur, à chanter avec l'eau, à ne jamais écouter leurs parents; nous leur avons tout appris, sauf à devenir. Grandir, j'espère que ce ne sera jamais le projet de nos filles

Et si c'était cela, le bonheur?

Minna vous le dira bien mieux que moi, à la fin de Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes: Au bout du jardin de mon enfance, il y avait une rivière. Les cailloux chatoyants au fond du courant me fascinaient: leurs formes fluides, leurs formes indéfinies. Un jour, j'ai retiré des cailloux et les ai posés sur l'herbe de la berge. En séchant au soleil, ils devenaient ternes, terreux, avaient perdu leur caractère enchanté. Et pourtant, il suffisait de les rendre à la rivière, de les rentrer dans le courant pour qu'ils recouvrent instantanément leur magie...

Jean-Pierre Otte est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages, parmi lesquels L'amour au jardin (coll. Libretto/Phébus, 2002), L'épopée amoureuse du papillon (Julliard, 2007) et La vie amoureuse des fleurs dont on fait les parfums (Julliard, 2009), déjà évoqué sur La scie rêveuse

Jean-Pierre Otte, Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes (Julliard, 2011)

00:34 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/05/2011

Christian Bobin

Bloc-Notes, 27 mai / Les Saules  

littérature; récit; livres

Le fond bleuté des yeux des vagabonds commence à geler. L'argent serre les mâchoires. Le monde est une plaque de plâtre qui se décolle d'un mur: ce qui apparaît dessous est d'une dureté de fer. Ne resteront bientôt de tendres que les nuages, les fleurs et quelques visages de loups - de ces visages que la main manucurée de l'argent n'a pas encore nettoyés, qui gardent la parure d'une sauvagerie divine.

Ainsi s'ouvre le champ des méditations à travers lesquelles Christian Bobin, au gré de ses promenades, visites ou recueillements, laisse librement courir sa plume. A la beauté de la nature, des arts, des rencontres, il nous tend un miroir: celui de son étonnement, de la grâce de moments furtifs et inoubliables qui, chez lui, prennent tout leur sens dans une spiritualité souriante. Trop souriante, me direz-vous? Parfois, peut-être, mais qu'elle dispense de la chaleur dans cet âge du mépris, de la surdité et de l'acier!

Parmi les perles de son récit, on peut relever celle-ci: Chaque jour est une lutte avec l'ange des ténèbres, celui qui plaque ses mains glacées sur nos yeux pour nous empêcher de voir notre gloire cachée dans notre misère. Ou encore: Le rouge-gorge trouvé mort devant la porte du garage retient sous son duvet la chaleur des jours heureux. Dieu est un assassin blanc comme neige 

Enfin, les amoureux de la musique reconnaîtront en lui un frère quand il nous dit que Jean-Sébastien Bach a dans son dos une clé en or qu'il tourne plusieurs fois par jour.

Paru peu de temps après Carnet du soleil, Un assassin blanc comme neige n'est sans doute pas son meilleur livre. Pourtant, ne serait-ce que pour quelques escarbilles glanées au fil de ses rêveries, votre journée n'aura pas été vaine en son amicale compagnie...

Christian Bobin, Un assassin blanc comme neige (Gallimard, 2011) 

Christian Bobin, Carnet du soleil (Lettres vives, 2011) 

04:54 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/04/2011

Yves Navarre

littérature; récit; livresYves Navarre, Je vis où je m'attache (Robert Laffont, 1978 et LGF, 1989 - épuisés)

Un premier août au bord de la mer. Gabriel et Adrienne vont fêter leurs cinquante ans de mariage. Les quatre fils sont là, les belles-filles et les petits-enfants aussi. Tout prédispose à la fête... Il arrive que l'imagination et le vécu se mêlent, se croisent, se répondent pour donner naissance à un beau roman. Tel est le cas de Je vis où je m'attache qui n'est pas sans ressembler au monde entrevu dans Le coeur qui cogne, mais en plus tendre ou apaisé. Une atmosphère et des sentiments délicats, tracés d'une plume légère.

Disponible sur www.yves-navarre.ch au format PDF

05:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/04/2011

Mélanie Chappuis

 

9782882412072.gifMélanie Chappuis, Frida (Campiche, 2008)

Un premier roman attachant pour dire la quête amoureuse, la peur de se brûler les ailes, la crainte des lendemains ordinaires. Les interrogations de son auteur touchent notre corde sensible par la finesse des perceptions, la sincérité dans l’approche des autres, le ton enjoué du récit. Un écrit de l’urgence pour dire que les amoureux sont seuls au monde, et un dénouement qui réjouit le cœur.

 

07:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/03/2011

Jour de grève

Bloc-Notes, 13 mars / Les Saules

littérature; récit; livres

Aujourd'hui, ça y est. C'est décidé. Je m'offre un luxe dominical, celui de mettre - comme on dit chez nous - les pieds contre le mur! Quel mur? Celui de la déferlante des nouveautés qui, Salon du Livre de Paris oblige, éveillent certes ma curiosité, parfois me désespèrent et tout à coup, me submergent. Ce qui forge parmi mes moments de bonheur les plus miraculeux ou inattendus, soudain cède le pas aux humeurs cruelles, probablement injustes et un brin cyniques, ce qui, à dire vrai, n'est pas vraiment, aussi loin qu'il m'en souvienne, dans ma nature. L'impression désagréable qu'ayant à peine quitté le restaurant de Philippe Chevrier à Satigny, je suis déjà sur le pas de porte de celui de Gérard Rabaey à Brent... L'abondance nuit à la saveur, au plaisir, à la dégustation des mots, au balancement agréable et doux éprouvé à la découverte d'un auteur, nouveau venu sur cette terre généreuse de l'écrit.

Une dizaine de livres parus au cours du premier trimestre de cette année, attendent ce déclic intérieur et parmi ces derniers, combien en lirai-je dans les semaines qui viennent? Deux ou trois peut-être, faute de temps, comme tout le monde, sans doute. D'autant plus que ceux à paraître entre mars et avril - une autre dizaine - garnissent déjà abondamment mon unique fauteuil réservé aux lectures incontournables, à entrepredre sans tarder. Alors oui, devant la pléthore de ces instants d'émotions possibles liés à l'actualité du livre, eh bien oui, je bois la tasse et... fais la grève! 

Tous les sens en éveil, devant les teintes rougeoyantes du ciel en cette fin de dimanche, déambulant dans notre jardin en toute tranquillité, j'observe le manège amoureux des oiseaux autour de la maison de bois en face de la fenêtre de notre cuisine, émerveillé et reconnaissant de cette joie intérieure qu'accompagnent les perce-neige, crocus de toutes les couleurs - bleus striés de blanc, jaunes ou violets - qu'accompagnent les premières éclosions du camélia et des primevères, cette sorte de sourire que sont parfois les fleurs au milieu des herbes graves, comme le dit si bien Philippe Jaccottet.

Je m'accorde un temps de marche pour peaufiner de nouveaux projets qui me trottent dans la tête, dont celui qui verra bientôt le jour sur le blog de La scie rêveuse - en avril probablement - consacré aux plus belles musiques classiques découvertes ou ravivées par Facebook. 

Et maintenant? Retour au livre aimé, choisi, aussi libre que l'air respiré. Celui entrepris voici quelques jours, signé Jacques Perrin, Dits du gisant, dont les mauvaises langues pourraient dire qu'il s'agit d'un vieux livre, puisque paru en septembre 2009! C'est l'histoire de Jasper, un alpiniste de l'extrême qui, à la suite d'un accident de montagne avec son ami Robert, se retrouve cassé, émietté, immobilisé sur un lit d'hôpital d'où il tirera sur le fil ténu qui abolit les frontières invisibles entre la vie et la mort, amorçant une lente reconstruction tant physique qu'intérieure, vivifiée par le souvenir, la magie des instants uniques, les rencontres, les visages. La littérature y est un levier crucial: Arthur Rimbaud, mais aussi Maurice Chappaz, Robert Walser ou Rainer-Maria Rilke. Il est vrai que ce récit, par de nombreuses évocations, se situe aux confins de la poésie. Il a neigé hier; l'ombre est venue sur ce blanc; des pas d'oiseaux menus - signes à déchiffrer peut-être? Tu penses à Nietzsche, aux grands événements qui, selon lui, arrivaient dans la discrétion, sur des pattes de colombe; transformation du temps, la pluie et un peu de neige sur les hauteurs aujourd'hui; ces flocons qui demeurent suspendus, accrochés aux paraisons glacées de la paroi...   

Rarement j'ai lu de si belles pages consacrées à la montagne, au temps du vin - qui occupe aussi une place de choix dans le coeur de Jasper - aux possibles fins dernières dont le narrateur par le biais d'un Journal entrevoit les lueurs imprévues: D'ici j'ai peine à deviner tes traits. Je voudrais me relever, me pencher pour mieux te voir. Impossible. Je ne vois que le vide qui nous sépare. Je suis pris de vertige. Le vent s'est levé et souffle avec une rare violence. Il me traverse, me glace encore davantage au passage. Mon corps ne lui offre aucune prise. Je suis ouvert, transparent, dépouillé, sans forme précise. Qui me regarde ne me verra pas. Qui me parle n'entendra pas ma réponse. Qui me touche me brisera davantage encore. J'entends que tu souffres à côté de moi. Je t'envies: tu existes. On peut dire au moins quelque chose de ta souffrance.

Dits du gisant est l'une des plus belles parmi mes lectures récentes et pour vous - moins sensibles que je ne le suis au rythme obsédant du calendrier - il suscitera un jour proche, je l'espère, un de ces bonheurs de lecture savourés au pas lent, régulier et attentif du montagnard, en compagnie d'un écrivain, un vrai.

Le dernier opus de X attendra bien un peu...

Jacques Perrin, Dits du gisant (L'Aire, 2009)

14/02/2011

Albertine Sarrazin

Albertine Sarrazin, L'astragale (coll. Points/Seuil, 2011)littérature; récit; livres

Disparue prématurément en 1967, à trente ans à peine, alors que la vie semblait enfin lui sourire, Albertine Sarrazin laisse derrière elle trois livres essentiels: L’astragale, La cavale et La traversière dont seul le premier est à nouveau disponible en librairie. Quelle tristesse … car cette enfant de l’assistance publique, mal aimée et révoltée deviendra un écrivain – un vrai, un grand - en prison où elle séjournera pendant huit ans pour braquage à main armée, prostitution et vol. Ses écrits sont autant de cris de révolte contre une société lâche ou hypocrite et un témoignage sans concession sur le milieu carcéral. Son style unique, instinctif, d’une beauté ténébreuse, alliant la crudité du langage à la tension émotionnelle de sa fragilité intérieure, n’a pas pris une ride. Sa rage de vivre couchée sur papier mérite bien mieux aujourd’hui que d’habiller la poussière d’une obscure bibliothèque de province. Lisez donc L’astragale et croyez-moi, certaines de vos lectures récentes prendront un méchant coup de vieux, tout à coup …

06:10 Écrit par Claude Amstutz dans Albertine Sarrazin, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |